Boîtes
Que voit-on d'abord ? Accrochées au mur, des boîtes rectangulaires peintes en couleurs
où dominent les teintes vives, acidulées, celles des bonbons, des yaourts aux fruits, du technicolor, rouge fraise, jaune citron, vert amande...
Voilà un ensemble varié, lumineux, coloré, gai ? Et pourtant tant de joliesse met mal à l'aise. Est-ce un piège, cette gaieté un tantinet criarde.?
On s'approche ; sur les surfaces unies, des signes apparaissent : un quadrillage, un triangle élancé comme une aile d'oiseau, une éruption de pois...
Les boîtes possèdent une petite poignée ou une tirette pour permettre l'ouverture d'un ou deux panneaux articulés par des charnières minuscules. A l'évidence, il y a quelque chose à l'intérieur comme dans les médaillons, les retables ou les armoires de poupées. [...]
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En effet, derrière les panneaux, sont enfermées des images : le spectateur, s'il obéit à sa curiosité, peut les délivrer du noir et éprouver la joie enfantine d'user du pouvoir de rendre les choses visibles ou invisibles. Ces chambres du sérail s'ouvrent : ces boîtes emprisonnent des femmes.
Pas n'importe lesquelles ; de celles qui posent pour les magazines.
C'est là que Didier Vignon va chercher les images dont il s'empare. Images souvent dénigrées parce qu'elles sont faites pour exercer un attrait érotique et qu'on se défend d'elles en leur déniant toute valeur, en dénonçant leurs stéréotypes,
leur vulgarité, par souci du bon goût et des exigences de l'art. Il est vrai que ces photos sont souvent vulgaires au sens
où elles sont nombreuses et utilisent délibérément les clichés propres à notre époque ; mais certaines n'en sont pas moins des photos fortes, d'une grande charge érotique due à la séduction du modèle et au regard du photographe.
Ici qu'advient-il de ces femmes fantasmatiques offertes dans des magazines auxquels elles ont été arrachées ?
Ces images surgies du fond de leur boîte portent les traces évidentes d'une agression ;
le papier a été froissé, élimé, déchiré, troué; les images sont métamorphosées par le dessin :
envahies par le déploiement de volutes, d'arborescences, de mystérieuses surfaces végétales,
ensevelies sous des figures monstrueuses, des apparitions grotesques et cruelles.
Pourtant, ici et là, la beauté outragée résiste,
survit dans un fragment épargné, dans le mouvement du corps féminin flamboyant, dansant, pâmé, obscène ; on s'aperçoit
qu'affrontée de la sorte à ces formes inquiétantes, menacée par la décomposition et l'effacement, libérée des codes qui la civilisaient et de la fadeur qui la ternissait, elle émerge plus brutale et plus provocante.
Mireille Finiel
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